Portrait présumé du Français Camille de Royer

Art Valorem, hôtel Drouot, 18 juin 2019  Lot 26

Les miniatures sont souvent porteuses d’histoire. Celle présentée par Art Valorem le 18 juin, nous a fait reconstituer une carrière hors  du commun et nous entraîne dans un périple, au cœur de la diplomatie européenne aux lendemains de la chute de l’Empire.  

Ecole française vers 1825

Portrait présumé du Français Camille de Royer,   ambassadeur de Prusse, en buste vers la droite.  Miniature sur ivoire du début du XIXe siècle.   Signature apocryphe à gauche « Isabey », ovale, 6,8 x 5,6 cm  A l’intérieur, manuscrit :   « N°9 / Royer / (Camille de ) / ambassadeur / de Prusse »  Cadre ovale en métal doré surmonté d’un nœud   (H. totale 9,1 cm. Poids total : 61 g.

Les archives française sont avares de renseignements sur Camille de Royer et il a fallu des recherches assez longues pour reconstituer l’étonnante carrière de ce français parti bien avant la Révolution française pour la Prusse, dont il finit par devenir… l’ambassadeur à Contantinople.

Issu d’une lignée d’avocats de la région lyonnaise, Camille de Royer était le deuxième fils du fameux jurisconsulte Antoine-François Prost de Royer (1729 - 1784), homme des Lumières, franc-maçon, réputé dans toute l’Europe pour ses publications juridiques, l’un des meilleurs connaisseurs de droit public de son temps (fig.1). Avocat, échevin de Lyon puis lieutenant général de police de cette ville, président du tribunal de Commerce de Lyon, il avait exercé toutes ces charges avec la plus scrupuleuse honnêteté et s’était même ruiné dans ses fonctions, payant de ses propres deniers bien des institutions de bienfaisance. A sa mort dit-on, son boulanger ne lui faisait plus crédit, mais une foule nombreuse se pressa à son enterrement. Pour saluer sa mémoire.

« Tous les Etats du Nord, l’Empire, la Russie, la Suède, la Pologne, la Prusse, l’Angleterre, la Hollande connaissent ton nom et l’honorent » lit-on dans son éloge funèbre. « Souverains, princes, héros, hommes d’état (sic), auteurs célèbres, voyageurs distingués, tous l’ont recherché dans leur passage en cette ville : plusieurs y ont prolongé leur séjour pour jouir plus longtemps du plaisir qu’ils éprouvaient à l’entendre parler sur les grands sujets dont il s’occupait, & ne se consolaient, en le quittant, que par l’espoir de le retrouver dans ses écrits » (Pierre Antoine Barou du Soleil, Gritner, Eloge funèbre de M. Prost de Royer, ancien échevin et lieutenant général de police de Lyon…, 1785, p. 56);

Le futur tsar Paul Ier l’avait rencontré, le comte Potocki, le prince du Nord, etc. Le prince Henri de Prusse, frère du roi Frédéric II le Grand, lui avait rendu visite deux fois et s’était lié d’amitié.  C’est ainsi qu’il offrit sa protection au jeune Camille de Royer et l’attacha à son service comme aide de camp. Henri de Prusse écrivit en 1784 à Prost de Royer mourant et assura sa famille de sa protection, obtenant du roi de France la continuation d’une pension pour sa veuve. « La bienfaisance de cet illustre protecteur s’est plus particulièrement étendue sur l’un des enfants de M. de Royer ; il l’attache à sa personne & daigne encore offrir ses bontés à l’un de ses frères » (Pierre Antoine Barou du Soleil, Gritner, Eloge funèbre de M. Prost de Royer, ancien échevin et lieutenant général de police de Lyon…, 1785, p. 58). 

Camille de Royer partit probablement aux lendemains de la mort de son père intervenue le 1784. Il était à Rheinsberg en 1786 comme jeune Hofkavalier (cavalier de Cour).

Dans ce château de Rheinberg situé à quelque 70 km de Berlin, Henri de Prusse, cadet du roi Frédéric II de Prusse et tenu malgré lui à l’écart des affaires, avait développé une Cour francophile et francophone. Ce fut d’ailleurs un point de ralliement des Français émigrés pendant la Révolution. Royer eut un poste équivallent à celui d’aide de camp du prince Henri de Prusse jusqu’à la mort de ce dernier en 1802 ; il poursuivit sa carrière militaire et fut pensionné par son successeur jusqu’en 1813 ; Selon Laubert, le major de Royer fut fait chevalier de l’ordre de la Croix de fer (qu’il ne porte pas ici). Il fit ensuite une belle carrière diplomatique pour la Prusse. A ce titre, il fut envoyé par intermittence à Paris en 1815-1823 d’où il établit une correspondance avec un général prussien. On lui doit des rapports sur Posnan et la Pologne en 1816-1817, ainsi que sur la Russie. En 1823, il fut nommé représentant du roi de Prusse en Espagne.  Finement exécuté, au point qu’un faussaire a ajouté la signature de Jean-Baptiste Isabey, peintre en miniature des cours européennes, ce portrait est intéressant à plus d’un titre. L’uniforme lui-même, avec sa paire d’épaulettes à franges dorées, montre un col orné de broderies qui ne paraissent pas appartenir au répertoire militaire, qu’il soit français ou allemand. Parmi les décorations portées figurent l’ordre de Charles III d’Espagne avec sa plaque à droite et le cordon bleu blanc bleu ; en sautoir, peut- être l’ordre de l'Aigle rouge de Prusse, comme nous l’indique aimablement Arnaud de Gouvion St Cyr. On a donc ici très probablement la tenue civile que Royer portait comme représentant du roi de Prusse en Espagne, avec rang d’ambassadeur, vers 1825-1827. En 1828, Royer fut nommé représentant de la Prusse auprès de la Sublime Porte. Il est peu probable qu’il ait alors porté sa décoration espagnole. Il mourut à Constantinople le 22 juillet 1830.

Nathalie Lemoine - Bouchard avec l’assistance d’Annie

Delatte et Elisa Bernard Bibl. : Manfred Laubert, Studien Zur Geschichte Der Provinz Posen in der ersten Häfte des neuzehnten Jahrhunderts, Volume 1, 1908. (Etudes pour l’histoire de la Poznanie dans la première moitié du XIXe s.) Manfred Laubert, Ein Denkschrift d. Majors von Royer-Luehnes über Russland u. Polen 1817, Zud Osteurop. Gesch. 1911 (2 vol, I, p. 65-85. (Une note du Major Royer sur la Russie et la Pologne).